Au coeur du sanctuaire gaulois de Saint-Just

Restes d'un individu, inhumé assis, retrouvés dans le sanctuaire de Saint-Just-en-Chaussée (Oise) - © Estelle Pinard / Inrap
Restes d'un individu, inhumé assis, retrouvés dans le sanctuaire de Saint-Just-en-Chaussée (Oise) - © Estelle Pinard / Inrap
Restes d'un individu, inhumé assis, retrouvés dans le sanctuaire de Saint-Just-en-Chaussée (Oise) - © Estelle Pinard / Inrap
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Longtemps restés invisibles aux archéologues, les sanctuaires gaulois n’ont été découverts qu'il y a une trentaine d’années. L’un d’entre eux, situé dans l'Oise, vient de faire l'objet d'un chantier de fouilles archéologiques.

Avec
  • François Malrain Chargé de recherche à l'Inrap.

Entre Beauvais et Compiègne, au sommet d’un plateau surplombant la plaine de Saint-Just-en-Chaussée (Oise) les gaulois ont édifié à partir du IVe siècle avant notre ère un étonnant sanctuaire, afin d’honorer leurs dieux.

François Malrain "Le sanctuaire de Saint-Just-en-Chaussée est édifié sur un point haut du paysage, sur une hauteur remarquable, sur un plateau et ses versants, et de cette manière, il devait être visible de loin. On sait aussi qu'il est installé dans un paysage déjà très largement ouvert, comme le révèlent des analyses de charbon de bois, entre autres avec la présence d'aulnes et de noisetiers qui révèlent à la fois la présence de l'eau et un paysage très ouvert. Il est également installé près d'une petite rivière qui s'appelle l'Arrée qui coulait au bas de ce sanctuaire."

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François Malrain "Avant la découverte de ce sanctuaire, on pensait que les Gaulois exerçaient leur culte dans le milieu naturel, près des sources et des rivières par exemple, ou de points remarquables du paysage, comme des rochers par exemple. La fouille de Gournay sur Aronde donnera une image totalement inverse à ce que l'on pensait jusqu'alors, avec des vrais espaces dédiés aux lieux de culte et à la pratique des religions gauloises."

Des offrandes exposées

Au sein du sanctuaire, des crânes de bœufs et des carcasses de chevaux ont été exposés puis jetés souvent dans des fossés. Ainsi, dans un fossé, figuraient 48 crânes de bovins, très altérés suite à une longue exposition aux intempéries. Dans un autre fossé, des vases et des quartiers de viande composent une véritable mise en scène. Les armes sont aussi très présentes. Parmi elles, des boucliers et leurs umbos (pièce centrale du bouclier), des casques, voire des épées. La pièce la plus exceptionnelle est une armure en fer, datée des années 60 à 30 avant notre ère. Tout ce mobilier, brisé, tordu ou martelé, pour mieux les désacraliser, devait, au préalable, constituer de véritables trophées.

François Malrain "Dans un enclos qui fait environ 60 mètres sur 50 mètres de côté, ce qui est à peu près la taille des autres sanctuaires qu'on connaît, on a découverts énormément de pièces métalliques, dont certaines sont apparues très énigmatiques lors de la fouille. Ces pièces se sont révélées être des pièces d'armure totalement uniques pour l'instant en France. Ce sont de fines tôles de métal qui font moins de deux millimètres d'épaisseur, ourlées pour ne pas blesser la peau."

François Malrain "L'armure couvre l'ensemble du personnage. Ce qui est extraordinaire sur ce site, c'est qu'elle est datée du milieu du Ier siècle avant notre ère, globalement, lors de la Guerre des Gaules. On a trouvé aussi des pièces tubulaires qui recouvrent le bras et l'avant-bras, ainsi que des pièces qui pouvaient couvrir les chevilles et peut-être également les cuisses, et de fines plaques articulées qui pouvaient couvrir le tronc."

Des individus inhumés accroupis auraient-ils été sacrifiés ?

Plusieurs tombes humaines sont présentes dans le sanctuaire : curieusement, les individus ont été inhumés en position assise, Nombre d’ossements présentent des traces de coups de chauffe, de découpe, mais aussi des traces de charognards. Des traces sur les crânes d’une fosse évoquent l’ouverture de la boîte crânienne et le prélèvement de la face, qui ne sont pas sans rappeler les textes de Diodore de Sicile et Strabon. Si les individus inhumés sont probablement des gaulois, qui sont ceux dont les ossements ont été mutilés et poly-fracturés ? Peut-être des romains, victimes de quelques épisodes violents de la guerre des Gaules, des armes romaines ayant été retrouvées au sein du sanctuaire.

Matériel retrouvé sur la site (casque et protections d'avant-bras) / milieu : restes d'animaux (chien et mouton) / Restes humains d'individus inhumés assis.
Matériel retrouvé sur la site (casque et protections d'avant-bras) / milieu : restes d'animaux (chien et mouton) / Restes humains d'individus inhumés assis.
- © T. Bouclet / F. Malrain / E. Pinard / Inrap

François Malrain "Par rapport aux normes de sépulture de l'époque laténienne, qui était plutôt l'incinération, là, nous avons des inhumés assis. Ils ont été disposés dans des petites fosses circulaires créées pour les accueillir, avec des tailles un peu différentes. Ils ont la jambe droite repliée et le pied qui est placé sous la fesse tandis que la jambe gauche est fléchie contre la paroi de la fosse. On en a huit. Globalement, il y en a une cinquantaine connus actuellement en France et en Suisse. [...] Donc c'est une pratique peu commune, mais qu'on commence à repérer un peu partout en Gaule."

Des fosses à banquets

Un des éléments capitaux de ce sanctuaire sont d’étranges banquettes creusées qui pourraient attester la présence de banquets. Deux fosses, longues d’environ 5 m, profondes de 20 cm, délimitent un espace central qui forme une table d’environ 1, 25 m de large. Une telle pratique était encore attestée lors des banquets de noces dans la Bretagne, au cours du début du XXe siècle. Des analyses des marqueurs chimiques des sédiments en disent plus long : des quantités de vin, rouge et blanc, ont été déversées dans ces fosses de banquets.

Plan du site / Fosses à banquet (avec coupe) et photo d'une noce en Bretagne dans une fosse à banquet / bas : plaques d’armure dans le fossé.
Plan du site / Fosses à banquet (avec coupe) et photo d'une noce en Bretagne dans une fosse à banquet / bas : plaques d’armure dans le fossé.
- © F. Malrain / Inrap

François Malrain "On a découvert, sur le site, quatre grandes fosses de quatre mètres de long sur deux mètres de large, formées par le simple creusement de banquettes à même le sol, en profondeur, qui ménageaient une table centrale, recevant un foyer pour un temps unique, court. De chaque côté, étaient des banquettes dont les analyses pédologiques ont révélé qu'elles étaient en bois."

Plusieurs divinités honorées ?

La cartographie des vestiges et des pratiques rituelles qui sont liées aux divinités, met en lumière la structuration générale du site, fondée sur une sectorisation des activités, notamment les pratiques d’exposition puis d’enfouissement des restes (animaux, armes, voire hommes sacrifiés). Les archéologues perçoivent ainsi la coexistence de rituels différenciés très probablement attachés à plusieurs entités divines, hypothèse déjà émise pour le sanctuaire autrichien de Roseldorf-Sandberg.

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